Mon Ami, Mon Modèle

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Mon ami Marc Tissot. Marc est aussi mon modèle. Il incarne Macbeth dans Macbeth sur le divan .Ici,...

A propos de «Las Meninas forever» de Cristobal Del Puey

Mai 17, 2024

Par Naïma Jornod, Dr en histoire de l’art, mai 2024

Après Goya, Picasso, Botero, Dali, Manet, et beaucoup d’autres encore, Cristobal Del Puey rend hommage à un des maîtres incontestés de la peinture espagnole et universelle, Diego Velázquez, en revisitant un de ses chefs d’œuvres, Les Ménines, peint en 1656.

Dans sa réinterprétation de la peinture du grand maître qu’il vient de réaliser, titrée «Las Meninas forever», Cristobal Del Puey nous propose sa vision et ses interrogations, soulignées par la mise en abîme utilisée dans la présence multiple et multiforme du rôle des miroirs, prolongée par les différentes lunettes, l’appareil photographique, le tableau que Velázquez est en train de peindre, et l’importante présence du tableau dans le tableau, en position centrale. A propos de ce dernier, Henri Chastel, dans son article «Le tableau dans le tableau», écrit :« Toutes proportions gardées, ce serait là comme l’équivalent du cogito du philosophe dans la conscience de l’artiste, le fingo ergo sum de celui-ci, formulé dans les termes concrets qui conviennent.», et précise plus loin que le «tableau peint dans le tableau a en quelque sorte une double résonnance : en tant qu’image. Il renvoie à la nature (forme), en tant qu’image d’une image, à l’intellect (idée).»

Las Meninas forever, 3,5 m x 3,4 m, technique mixte

Cette œuvre exprime une réflexivité du soi de l’artiste dans le sens qu’elle matérialise l’idée qu’il se fait du monde, et par cette matérialisation rapporte le sujet à lui-même, à ses questionnements, et devient de la sorte, le miroir de son soi.

La contemplation de «Las Meninas forever» ne laisse pas indifférent le spectateur. L’œuvre s’impose par sa présence magistrale, elle nous pénètre, nous questionne sur la part visible qui s’offre à nous, tout en suscitant la part invisible qui se projette dans notre inconscient, en éveillant des échos qui résonnent dans notre sensibilité et nos rêveries. Elle interpelle dès le premier regard posé sur elle, dérange ou captive, sa lecture propose d’ausculter notre inconscient en essayant de percevoir nos questionnements, nos embarras ou nos assurances.

Cette œuvre à la technique mixte, riche par l’accumulation des moyens et matériaux employés, par la force des couleurs utilisées, présente une lecture intéressante en suggestions, tant dans la forme que dans le fond.

La composition de «Las Méninas forever» met en scène une partie du sujet magistral du peintre baroque espagnol du XVIIe siècle, occupant la moitié inférieure du tableau selon l’axe horizontal. Cette partie est composée d’un groupe central intégré dans un tableau encadré, occupant la presque totalité de la largeur de la peinture, et par ce fait occupe une place d’honneur, en participant à l’organisation picturale de l’architecture de l’œuvre.

A l’extrême gauche, Velázquez est représenté de manière imposante, le regard dirigé vers le spectateur, face à sa toile, dont nous percevons le châssis qui occupe toute la hauteur de l’œuvre. Cristobal Del Puey reprend quelques figures de l’œuvre originale, telle l’infante Marguerite en position centrale, présentée dans le tableau du tableau, le couple royal reflété sur les lunettes du Kogi de profil à gauche qui semble regarder la toile de Velázquez, le chambellan de la reine à l’extrême gauche du tableau dans le tableau devant une porte ouverte, à l’extrême droite le chien, et la présence des deux nains figurés à l’extérieur du tableau dans le tableau.

Cristobal Del Puey enrichit l’iconographie de nouvelles figures contemporaines qu’il mêle aux anciennes. Celles-ci sont dominées par la présence majestueuse de sa compagne, dénommée Divine, à droite de l’infante, qui nous regarde à travers ses lunettes et dont la présence est dédoublée dans la même position assise, cette fois habillée d’une robe pourpre rappelant la couleur du mur du fond, comme pour souligner la sagesse et l’introspection. Derrière elle, tel un pendant au chambellan, un homme en costume, au visage absent sans yeux devant un miroir semble incarner la figure paternelle.

Au premier plan du tableau dans le tableau, côté gauche, deux femmes habillées de justaucorps, l’une à la représentation anatomique conforme, assise de profil, le visage tourné vers le spectateur, est située derrière la deuxième femme, de même corpulence, à l’aspect d’un spectre, au visage décomposé et à la peau scarifiée. Cette dernière, le visage tourné vers la toile de Velázquez, positionnée en dehors du cadre du tableau central, semble être suspendue dans les airs.

Derrière elles, la représentation d’un Kogi dans sa tenue traditionnelle, à l’air apaisé au regard scrutateur, est quadruplé, dans des positions de profil et de dos. Ce Kogi est reflété de face à l’infini, dans le miroir posé derrière lui. A droite, un nu de femme, vu de dos, extérieur au tableau du tableau dont la face est réfléchie dans le tableau du tableau, en personnage tératologique, visage disproportionné et corps disséqué laissant deviner l’appareil cardio-vasculaire, synonyme de vie. En bas, au premier plan et à droite, le chien de la cour espagnole est positionné à l’intérieur du tableau dans le tableau, dédoublé en un animal à la gueule simiesque, aux grands yeux nous observant, positionné à l’extérieur de celui-ci.

A l’extrême droite, la présence de Cristobal, tel un clin d’œil à l’éminent peintre espagnol du XVIIe siècle, est représenté debout, portant des vraies lunettes rajoutées, sur lesquelles le regardeur se reflète, un appareil photographique entre les mains, comme prêt à nous photographier. A cela, le peintre ajoute six formes oblongues dorées telles des yeux qui regardent l’observateur, comme pour souligner le débat encore actuel autour des Ménines.

La moitié supérieure de l’œuvre représente le mur et le plafond de la pièce dans laquelle se présente la scène. Le silence émanant de cette partie, aux tons pourpres, couleur considérée dans la culture traditionnelle chinoise comme une couleur de bon augure et également couleur typique du taoïsme, apaise le regard conforté par l’absence de figures, remplacées par des signes rappelant la calligraphie chinoise que l’artiste a étudié, il y a quelques années.

Dans ce dialogue des miroirs, augmenté par la présence du tableau dans le tableau, se révèle un art d’illusion, nous confrontant à une image réfléchie d’une réalité cachée.

Si l’on considère que l’œuvre de Cristobal Del Puey, avant d’être une image oculaire consécutive à la représentation tridimensionnelle de l’objet, est a priori une forme d’ondes sonores et visuelles, capable de nous émouvoir, alors par son pouvoir de suggestion, il nous propose une multitude d’images enfouies dans notre subconscient qui viennent s’associer à d’autres formes d’expression, métamorphosant notre individualité.

L’interprétation de l’œuvre «Las Meninas forever» varie selon le point de vue de l’historien, de l’amateur d’art, de l’anthropologue, du sociologue ou du philosophe. Pourtant nous pouvons prétendre que cette œuvre, dont la finalité est la vision propre de l’artiste, suscite une émotion esthétique intentionnelle et inédite.

L’œuvre de Cristobal Del Puey, incluant la peinture monumentale aux divers matériaux, augmentée d’art numérique (mapping visuel), de composition musicale où se mêlent airs anciens et modernes, bruitages et paroles, peut à notre avis être considérée comme une œuvre d’art totale.

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