Interview de Cristobal Del Puey sur son processus créatif

Certains de vos tableaux monumentaux sont aussi des mapping. Qu’est-ce que c’est un mapping ?

Je conçois mes tableaux comme des tableaux vivants. Et j’ai aussi cherché à les rendre encore plus vivant. Quand j’ai compris le potentiel des logiciels comme MadMapper qui sont conçus pour être utilisés par des artistes, je me suis dit que le mapping était une bonne option. Genève a la chance d’accueillir une communauté techno-visuelle très active sur le plan international, à la pointe non seulement des usages, et aussi de la conception. Certaines personnes de cette communauté sont aussi les programmeurs de ces outils utilisé partout dans le monde.

Tout le monde connaît la puissance du mapping car il y a eu beaucoup de projection de lumière dans les villes, sur certains monuments avec cette technique. Moi je l’utilise sur mes tableaux de grands formats.

Mon objectif en ayant recours à cette technologie est multiple. Donner plus de vie, raconter une histoire, proposer une profondeur de lecture. Et aussi plonger le spectateur dans un flot émotionnel, lui faire sentir des émotions inédites. C’est toujours mon tableau, mais un tableau augmenté. Le but ultime est bien sûr la recherche d’un supplément d’âme. Mon exposition est réussie si les visiteurs en sortant se tiennent plus droit, se sentent grandis, se sentent plus en confiance avec eux-mêmes et dans la vie.

Et chaque mapping est différent. Un mapping peut durer de 8 à 15 minutes en fonction de mes toiles. Réaliser un mapping, c’est comme produire un film court-métrage, dont l’écran serait une de mes toiles. Comme je peins en relief, la superposition du mapping sur mes toiles créent des effets inattendus et complémentaires.

Quel en est le processus créatif ?

J’ai l’habitude de la solitude de mon atelier où je me sens bien. Le mapping m’oblige à sortir de ma zone de confort. Un mapping nécessite de nombreuses collaborations : un compositeur, des spécialistes du mapping, beaucoup de technique, et aussi des coproductions et du financement.

Monter une exposition avec mes toiles et du mapping, cela mobilise une équipe de plus de 15 personnes. Je passe donc de la maîtrise totale à un processus collectif aléatoire. C’est une cocréation, mais sur le mode de la commande. Car le mapping fait partie intégrante de mon tableau et de sa conception. Le mapping doit pouvoir être cédé avec le tableau à des acheteurs potentiels.

Pour moi qui ai l’habitude de gérer en flot continu mes visions et leur réalisation, c’est un tout autre processus créatif. En amont je passe beaucoup de temps à rencontrer les personnes avec lesquelles je vais travailler. Car tout commence par une rencontre.

L’équipe une fois constituée, nous partons de mon briefing. Mais mon briefing, ce n’est pas forcément une feuille de route. Les techniciens qui maîtrisent les logiciels du mapping entrent ici en scène, avec leur propre processus créatif. Certains se révèlent bien au-delà de leurs compétences techniques, de véritables créatifs, avec leur propre processus. C’est un processus qui prend au minimum 15 jours, idéalement plus. Ce n’est pas linéaire. Je participe à chaque réunion et entre les réunions, chacun travaille et développe une partie des images. Puis on remet en commun.

Pour mon dernier mapping sur ma toile « Las Meninas forever », la relation avec Yon Aliaga que je connais depuis longtemps, s’est beaucoup enrichie. La confiance n’est pas quelque chose qui se décrète, elle se bâtit. Et nous avons tous les deux fait un chemin l’un vers l’autre. Pas toujours facile, mais avec beaucoup de respect. Je dois aussi citer la contribution de Robert Nortik qui prépare actuellement la prochaine performance du Lido à Paris qui sera visible pendant 6 mois. Le compositeur est Nuna Costa, un étudiant en master de la Haute École de Musique de Genève. Nous nous sommes rencontrés lors d’un concert à la bougie à la Cathédrale de Genève. Et puis j’ai été vers lui. Après avoir diffusé son opéra écrit pour la Biennale de Venise, la télévision portugaise vient de réaliser un documentaire sur lui, qui sera diffusé ce printemps.

Ce mapping n’aurait pas été possible sans les contributions du Mapping Festival qui fête ses 20 ans et du Laboratoire d’art contemporain Andata Ritrono qui vient de fêter ses 40 ans. Je tiens à remercier les deux fondateurs de ces institutions genevoises, respectivement Boris Edelstein et Joseph Farine.

Et puis il y a l’angoisse de la première diffusion. L’équipe voit les améliorations possibles, mais le public. Lui, reçoit en pleine face non seulement le tableau qui est déjà très conséquent, mais en plus la performance de 8 minutes toute en couleur et musique.

Et puis, il y encore une autre surprise avec cette exposition qui a lieu jusqu’au 8 juin 2024 à la galerie Andata Ritorno. Une équipe de tournage de 4 personnes viendra spécialement de Paris pour filmer le mapping et interviewer des personnalités de l’art genevois. Pourquoi ? Parce que cette maison de production, Mondex Films, est spécialisée dans les films documentaires sur les grands peintres. Après un film sur Hyeronimus Bosch et un Goya réalisé avec Jean-Claude Carrière (ce fut son dernier film, il est décédé pendant le tournage), leur prochain film est consacré à Velasquez. Et « Las Meninas forever » a été choisi comme le tableau d’un peintre incarnant l’héritage du grand maître. Vous comprendrez que quand ils m’ont annoncé la nouvelle, je ne pouvais pas manquer ce rendez-vous. Velasquez est toujours très présent dans ma peinture. Il n’est jamais loin.