Par Joseph Farine. Depuis quarante ans, Joseph Farine défriche les talents d’ici et d’ailleurs. Dès son ouverture, Andata Ritorno s’est positionné comme un centre d’expérimentation artistique unique. À l’image de son fondateur. Vernissage le 16 mai dès 18h

Il en est peut-être de la matière comme d’une chose honteuse dont la psychanalyse en a approfondi et structuré la question de l’immondice. Chez le peintre Cristobal, cette matière est pratiquée d’une manière extrême et frôlant parfois une exacerbation littéralement du côté de l’obscène, dans le sens étymologique à savoir « à côté de la scène ».

Les échanges parlés avec Cristobal Del Puey à propos de sa peinture m’en ont dit suffisamment pour penser que derrière ces figures se préfigure sous une forme frôlant la suggestion d’une libido effective faisant semblant de se cacher. Nous avons donc avec Cristobal, un enjeu où la scène est en jeu toujours effectivement par-delà la scène, et c’est sans doute pour cela, qu’il s’est intéressé de près, donc a travaillé et œuvré, à l’une des œuvres les plus énigmatiques de l’histoire de l’art, à savoir Les Ménines.

Les Ménines, quoi donc ! comment donc essayer d’en dire plus de cette peinture magistrale, après ce que Michel Foucault a si bien et si intelligemment analysé à ce propos. Je parle bien entendu de l’affaire de ces miroirs freudiens et lacaniens, sans oublier pourquoi pas, le miroir de la Blanche Neige. Miroir, que réfléchis-tu à part ton illusion ?

Nous essayerons donc d’y aller un peu plus du côté de la réflexion. La réflexion de voir et d’entrevoir, essayer de sentir ou ressentir au mieux, essayer de dire ce que la peinture ne peut parler, mais essayer de nous faire voir. TENTER de voir, tenter de transcrire, tenter d’y lire ce que les mots et les images ne pourront jamais dire, peut-être comme cette inspiration qui peut être à la base de la peinture et qui peut ressembler à la tentation de la sainteté. Tenter de voir ce que les personnages des Ménines semblent entrevoir par le regard porté sur nous, regardeurs, en nous incluant littéralement dans le tableau.

Et la misère de la matière en sera la réponse matérialiste que Marx a si bien démontrée. Par ailleurs, n’oublions pas que la dorure dans l’histoire de l’art aura toujours été, depuis l’Égypte ancienne, une recherche toujours éperdue et déjà perdue de représentativité de la Chair des Dieux.

Cristobal, ta peinture est indicible, elle me pose un paradoxe qui est celui de l’appréciation de la matérialité pure, alors que j’ai toujours été prioritaire dans mon rapport à l’art plastique, du côté des œuvres qui travaillent sur la presque invisibilité. Il en sera donc de cette exposition, comme d’un paradoxe de ma part, à savoir la monstration, en l’occurrence, d’en dire plus avec beaucoup de matière, alors que ma sensibilité primordiale est celle de scruter le pouvoir des images en général, dans l’expression du less is more. Dans cette Genève à l’héritage calviniste, je suis un amoureux de l’immensité des images. Cet amour allant de l’art cistercien jusqu’au baroquisme, dont je n’oublie jamais que dans ce mot résonne une note ROCK.

Joseph Farine, fondateur de Andata Ritorno, Laboratoire d’art contemporain, Genève, mars 2024